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Le bonheur s'écrit trop souvent à l'encre blanche sur des pages blanches.

 

 

Le Caire, 2 avril 1921

 

 

La noce battait son plein. Non, pas la noce. La fin du monde, car un mariage en Orient est toujours proche de la fin du monde. D'ailleurs, les funérailles aussi. D'un côté les youyous à déchirer les tympans, de l'autre les cris des pleureuses ; d'un côté la danse du ventre ; de l'autre les contorsions figurant la douleur. La démesure, toujours et en tout. Amira Loutfi était parvenue à organiser son mariage. L'expression « stricte intimité » avait donc été bannie de la maison pour céder la place au mot « faste ». Bien évidemment, elle avait gardé pour elle l'aveu de Mona. Après tout, comme sa fille le lui avait fait remarquer, ce ne serait pas la première fois qu'une femme accoucherait avant terme. Mais il était temps. Les courbes de la jeune femme commençaient à trahir sa grossesse.

Le matin même, la fatiha[71], la cérémonie au cours de laquelle l'imam avait uni le couple, s'était déroulée dans la villa de Guizeh en présence des parents. Ceux de Mourad, accompagnés de Soliman et Samia, étaient arrivés une semaine plus tôt de Haïfa et vivaient l'événement dans un état second. Lorsque Hussein avait reçu la lettre de son fils lui annonçant son mariage, il était resté muet, incapable de proférer un seul mot ; quant à Samia, elle s'était transformée en fontaine de larmes avant de pousser des youyous enflammés comme si elle avait voulu partager son bonheur avec toute la Palestine.

Et ce soir, le bonheur avait pris ses quartiers dans les somptueux salons coloniaux de l'hôtel Shepheard’s que Loutfi bey avait loué pour l'occasion.

Au centre de la salle, on avait érigé une kosha, une estrade sur laquelle on avait installé deux trônes pour les mariés, afin que tous puissent les contempler, alors qu'autour d'eux une danseuse, le nombril frémissant, ondulait sur le rythme de la mesure et demie, la wahda ou noss, ce tempo très particulier qui intriguait tant les musiciens étrangers.

Dans une salle contiguë étaient exposés les cadeaux. Services d'argenterie et de cristallerie, horloges et pendules, tapis de soie, un Coran enluminé, de la porcelaine (anglaise, bien entendu), des nappes de dentelle... une véritable débauche de richesses, pas toujours de très bon goût. Parallèlement à la soirée, Loutfi bey avait organisé un souper pour les gens du quartier de Guizeh et distribué de larges aumônes aux œuvres de bienfaisance de sa mosquée favorite.

La seule note de tristesse concernait le sort de l'infortuné Saad Zaghloul. Quelques semaines auparavant, les Anglais semblaient avoir pris conscience des résistances du peuple. Une commission avait conclu qu'il était temps de mettre fin au régime du protectorat et suggéré que les gouvernements égyptiens et britanniques s'entendent afin de préserver leurs intérêts respectifs.

Le cœur rempli d'espoir, Zaghloul et certains responsables de son parti s'étaient donc rendus à Londres pour jeter les bases des termes du futur traité. Malheureusement, les discussions tournèrent court. La Grande-Bretagne ne consentait à renoncer au protectorat que contre la reconnaissance des intérêts britanniques en Égypte et un droit de regard sur la nomination des ministres. « Dans ce cas, avait protesté le nationaliste, quelle différence avec le protectorat ? » Les négociateurs anglais, le poupon rose Churchill en particulier, ne voulurent rien savoir. Zaghloul et ses compagnons claquèrent la porte.

À son retour au Caire, le brave fut accueilli en héros, et un peu partout dans le pays des manifestations de soutien se formèrent. Émeutes, embrasements. Les troupes anglaises répliquèrent en ouvrant le feu sur les manifestants, provoquant des dizaines de morts et de blessés. Furieux, le général Allenby, toujours haut-commissaire, décida de défouler sa frustration sur celui qu'il avait baptisé « l'empoisonneur », responsable de tous les maux de Sa Majesté : Saad Zaghloul. La police britannique débarqua à son domicile et on lui intima l'ordre de faire ses bagages pour la seconde fois : direction Aden. Cependant, estimant sans doute que c'était encore trop proche de l'Égypte, il fut expédié aux... Seychelles. Au moins, se dit Allenby, emprisonnée là-bas, la harangue du nationaliste n'atteindrait pas l’Égypte. L'avenir prouverait à l'Anglais qu'il se trompait.

Vers 1 heure du matin, Soliman vint réciter des vers fleuris sur le bonheur conjugal, arrachant des frissons aux mariés et lies sanglots aux parents.

Ah ! songea Hussein Shahid, en contemplant tous ces miracles, les larmes aux yeux. Son fils s'était bien marié, Loutfi était un seigneur ! Et l'Égypte un grand pays.

 

 

 

*

 

 

Alep, 10 avril 1921

 

 

Dounia, qu'ai-je fait qui méritait tant de désintérêt ?

– Désintérêt ?

– Je vous ai écrit. Dix fois, vingt fois, je ne sais plus. Avant de quitter la Syrie, c'était il y a deux ans déjà, n'ai-je pas tenté à plusieurs reprises de vous revoir ? J'ai trouvé porte close. Alors ? Quel nom donner à cette attitude, si ce n'est l’indifférence ?

Elle quitta le canapé où elle était assise depuis la venue du français et se dirigea vers la véranda. L'air était doux et le ciel d’un bleu admirable. Des senteurs de pins venus de l'horizon s’engouffraient dans le salon.

Elle répondit, dos tourné, fixant le paysage.

– Détrompez-vous, Jean-François. L'indifférence, c'est la mort des sentiments. Les miens n’ont jamais été aussi vivants.

Elle se retourna brusquement.

Qu'attendiez-vous de moi ? Vous avez du charme, de la prestance, vous êtes indiscutablement brillant, et je connais peu de femmes capables de vous résister. Mais, et je le déplore, vous et moi n'appartenons pas à la même famille.

– Je pensais que...

– Que j'étais attirée par vous ? Bien sûr. Dès le premier instant et je le suis encore. Que vous avez occupé tous les recoins de mon esprit pendant des semaines ? C'est exact. Que j'ai cru mourir un peu de votre absence ? Oui. Qu'en lisant votre mot m'annonçant votre retour, je me suis précipitée devant le premier miroir pour vérifier si, en deux ans, les rides ne m'avaient pas trop enlaidie. C'est aussi la vérité, mais...

– Vous n'avez jamais été aussi belle.

Il voulut lui prendre la main ; elle se déroba.

– Attendez, poursuivit-elle. Vous devez comprendre que je fais malheureusement partie de ces êtres qui estiment que cette alchimie étrange que d'aucuns appellent l'amour ne nous permet de grandir que si le sentiment passe par le reniement de soi. Le bonheur est exigeant. Vous me comprenez ?

Une ombre envahit les traits du Français.

– Je m'en doutais. Je veux dire que je me doutais que vous condamniez ma façon de voir la vie. Je me souviens parfaitement de vos mots : « Vous n'êtes pas donc pas de ceux qui voudraient faire de ce monde un monde plus fréquentable. » Pourtant, je vous ai expliqué ma position. Je suis au service de mon pays. Comment pourrais-je envisager de le trahir ?

– Le trahir serait une hérésie. Mais vous pouvez comprendre aussi ma position. Je suis irakienne. Et mon peuple est dans la souffrance. Je suis arabe, et mes frères sont dans la souffrance. Alors ? Comment me partager entre eux et vous ? Vous qui, dans les coulisses, quand ce n'est pas au grand jour, contribuez à faire notre malheur. Vos raisons sont honorables. Je les respecte. Mais ne me demandez pas de faire comme si elles n'existaient pas.

– Dounia...

Vous tricotez et détricotez nos pays comme s'il s'agissait de vulgaires pelotes de laine. Vous placez des roitelets pantins, à l'instar de ce pauvre Fayçal, sur des trônes pour mieux les renverser ensuite.

Le ton de sa voix se fit plus âpre :

– Saviez-vous que M. Churchill ne verrait aucun inconvénient à gazer les Kurdes ?

La surprise le laissa muet.

Oui, mon ami. Je tiens l'information de Nidal qui l'a reçue du naquib qui, lui-même, la tenait du haut-commissaire, sir Percy Cox.

– Gazer les Kurdes ?

– Absolument. Estimant sans doute impressionner le vieil El-Keylani, le haut-commissaire lui a montré le courrier signé de la main de Churchill, recommandant – si besoin était – d'user de gaz empoisonné à l'encontre de ce qu'il appelle « des tribus non civilisées ».

Jean-François se prit la tête entre les mains.

Était-ce possible ?

– Donc, tout est perdu entre nous, lâcha-t-il d'une voix sourde. Tant que je défendrais les intérêts de la France, vous me refuserez le droit de vous aimer. En deux mots, vous m'offrez une alternative insoluble : vous ou mon devoir.

– Non, Jean-François, vous vous méprenez à nouveau. Jamais je n'oserais vous proposer un choix aussi pervers. Je viens de vous le dire : vos motivations sont honorables.

– Ainsi, à cause des obligations que nous impose notre conscience, nos cœurs devraient se taire.

– Il n'y a pas que notre conscience, il n'y a pas que nos pays. Il y a aussi les hommes. Tous les hommes. Je suis naïve, je l'admets. Je suis convaincue que nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon tôt ou tard, nous mourrons ensemble comme des idiots.

Il baissa les yeux et secoua un peu la tête comme s'il confessait son impuissance.

– Vous êtes une rêveuse émouvante. Une rêveuse tout de même.

Il emprisonna les épaules de l'Irakienne.

— Vous me parlez de vos frères qui souffrent. Qu’imaginez-vous ? Qu'ils seront éternellement des victimes ? Un jour viendra, soyez-en sûre, où, de victimes, ils se transformeront en bourreaux. C'est ainsi. La roue tourne. Le monde tourne. Les faibles d'aujourd'hui sont les puissants de demain. On appelle ce mouvement l'Histoire. En attendant, nous n'avons pas d'autre choix que d'essayer de retarder le jour où nous, les puissants d'aujourd'hui, passerons à la trappe. Permettez-moi au passage de vous rappeler que M. Churchill n'est pas français et que, dans cette région du monde, la France a été reléguée au second plan. Tout ce que nous tentons de faire, c'est de grappiller quelques gouttes de pétrole pour que notre économie ne meure pas de soif. Si vous estimez que ce que nous éprouvons l'un pour l'autre mérite de mourir aussi, alors, comment pourrais-je vous convaincre qu'il s'agit d'un gâchis ? Je vous aime, Dounia. Malgré vous, malgré nos différences, je vous aime. Et contre cette fatalité non plus je ne peux rien. (Il se tut et la considéra un moment, donnant l'impression de vouloir lire en elle.) Moi aussi, je suis un rêveur, figurez-vous. Je me plais à croire que mon amour, ajouté au vôtre, et à celui de tous les êtres qui s'aiment, serait une manière de vivre et – pour reprendre vos termes – ne pas mourir ensemble comme des idiots...

L'espace d'un instant, elle eut l'air déconcerté. Elle sentit les mains de Jean-François qui emprisonnaient ses hanches. Il l'attira violemment contre lui. Elle ne résista pas. Elle murmura seulement :

— Ce sera la première fois...

 

 

*

 

 

Le Caire, 15 avril 1921

 

 

Confortablement installés dans le salon, les pères des mariés, le Palestinien et l'Égyptien, fumaient chacun son narguilé dans des senteurs de mélasse et d'essences de pomme.

Loutfi bey inspira une longue bouffée qui fit danser sur les braises incandescentes une langue de feu. Savourant son plaisir, il ferma les yeux avant de reprendre :

La villa dont je te parle fera parfaitement l'affaire. Elle se trouve à un quart d'heure d'ici et, une fois rénovée, agrandie et décorée, elle sera parfaite pour nos enfants.

Hussein Shahid leva la main en guise de protestation.

Il n'en est pas question. Tu sais bien que c'est à l'époux d'apporter en dot la maison que devront occuper les jeunes mariés. Dans ce cas, au père de l'époux. Donc, à moi.

C'est insensé ! Puisque cette maison existe et que personne n'y habite ! Je peux donc en disposer à ma guise. Laissons tomber ces coutumes dépassées, je t'en prie, mon frère. Toi, moi, c'est la même chose !

– Dans ce cas, je te prends au mot. Je t'achète ta villa et je la leur offre en dot. D'accord ?

L'échange se poursuivit encore longtemps, aussi animé que dans un souk, pour s'achever finalement sur un accord que l'un et l'autre jugèrent enfin équitable : Hussein offrait la maison ; Loutfi bey les meubles.

– À présent, reprit l'Égyptien, si nous parlions de l'avenir professionnel de ton fils.

– Son avenir professionnel ? Ne doit-il pas terminer ses études de droit ?

C'est bien ce qui était prévu en effet. Mais à présent qu’il est marié, il va être obligé de subvenir aux besoins de son couple et de nos futurs petits-enfants.

– Il n'y a pas de problème. Ils pourront compter sur moi pour les aider jusqu'à ce que Mourad soit en mesure de gagner sa vie par lui-même.

– Impossible.

Hussein eut un geste de surprise.

– Oui, impossible. Je lui ai fait la même proposition lorsqu'il a demandé la main de Mona. Il a refusé catégoriquement.

– Il a eu raison ! J'aurais eu honte de lui s'il avait agi autrement.

– Donc…

Il acceptera de son père ce qu'il n'a pas accepté d'un étranger.

– Un étranger ? Moi ?

– Tu m'as compris, Farid. Je t'en prie, ne te sens pas offensé.

L'Égyptien eut un haussement d'épaules sceptique.

– J'aimerais partager ton optimisme. Toutefois, j'ai appris à connaître Mourad. Je le connais même aussi bien que s'il était mon propre fils. Il refusera ton aide.

– Ce serait un âne... Comment se débrouillera-t-il sans…

– Je ferai comme beaucoup d'étudiants qui n'ont pas de parents riches, c'est tout !

La voix de Mourad avait retenti par-dessus les glouglous.

Le Palestinien traversa le salon et se campa devant son père.

– J'ai d'ailleurs trouvé un travail. Bien sûr, le salaire est mince, mais il suffira dans les premiers temps. Un an. Dans un an, je serai diplômé et je pourrai accéder au barreau.

– Un travail ? se récria Hussein Shahid. Lequel ?

– Pour le Wafd. Des travaux de secrétariat.

– Le Wafd ? Le parti de Saad Zaghloul ?

– Absolument. J'ai obtenu le poste grâce à l'intervention de son neveu, Zulficar. Bien que le brave soit exilé aux Seychelles, la lutte continue. De surcroît, la politique laïque et libérale que défend ce parti est conforme à mes idées. Me voilà donc pleinement heureux. D'ailleurs, Taymour fait lui aussi partie de notre équipe.

Les deux pères levèrent les yeux au ciel presque de concert.

– Taymour est fou, fit remarquer Farid. Mais toi ?

– C'est inepte, mon fils, surenchérit Hussein Shahid. Pour quelques livres, tu vas gaspiller un temps précieux que tu pourrais consacrer à tes études. À’liek fen ? Où est ton cerveau ?

– Sans compter, ajouta Loutfi, que pendant que tu organiseras la paperasserie du Wafd, tu négligeras ton épouse, bien évidemment,

– Ne vous inquiétez pas. Mona ne souffrira aucunement. De toute façon elle est d'accord avec ma décision.

– Ah bon ! grommela l'Égyptien. Parce que tu lui as demandé l'autorisation ?

– Oui, Loutfi bey. Aujourd'hui, les femmes sont émancipées, tu sais.

Le beau-père de Mourad fit mine d'approuver mais on sentait qu'il n'en pensait pas moins.

– Si c'est ton choix, mon fils, reprit Hussein Shahid, fataliste. Néanmoins, puis-je te demander quel métier tu envisages d'exercer une fois ton diplôme en poche ?

L'Égyptien anticipa la réponse de Mourad.

– Président ! Il sera le président-directeur général de la société que je vais fonder spécialement pour lui. La Hosni Cotton Trading Co. Ltd.

Ah... s'étonna Hussein Shahid.

Mourad s’éclaircit la gorge.

– Je vais vous décevoir, Loutfi bey... je...

– Écoute, mon fils, arrête de m'appeler Loutfi bey. Je suis ton beau-père maintenant ! Et mon prénom est Farid. D'accord ?

– Si vous m'y autorisez.

– Tu parlais de me décevoir...

– Eh bien... Je n'ai pas l'intention de rester en Égypte après la fin de mes études.

– Quoi ?

– Je compte rentrer dans mon pays, en Palestine.

– Ton pays ? Mais il n'existe pas, ton pays !

Loutfi chuchota à Hussein :

Ebnek bi kharraf walla é ? Ton fils radote, ou quoi ?

– Pas du tout, s'insurgea Hussein, piqué au vif. La Palestine existe bel et bien ! J'en viens ! J'y suis né !

– Farid, lança Mourad, puis-je vous poser une question ? Comment appelle-t-on un territoire qui porte le même nom depuis des centaines de siècles, où des générations entières d'individus se sont succédé, qui pratiquent la même religion, partagent la même culture et les mêmes mœurs ? Comment l'appelleriez-vous ?

Ya Allah ! Ce n'est pas pareil ! Vous n'avez jamais existé en tant que pays, vous n'avez pas de capitale, pas de président ni de monarque, pas de Constitution. Aucun des symboles qui figurent une nation.

Hussein Shahid leva la main en signe d'apaisement.

D'accord. Nous n'avons pas de capitale, pas de président...

Mais Mourad insista :

– Pardonnez-moi, Loutfi bey...

– Farid ! Mon prénom est Farid.

– Farid. Pardonnez-moi. J'aimerais seulement vous faire remarquer que nous avons été occupés pendant des siècles. Entre les Perses, les Grecs, les Romains, les Assyriens, les Arabes, les Croisés, les Turcs, et maintenant les Anglais, vous croyez que nous avons eu beaucoup d'opportunités pour mettre en place les structures d’une nation ? Allons... Un peu d'indulgence ! Et n'oubliez pas ceci : ce n'est que lorsqu'il y a un autre que l'on sait qui l'on est.

– D'accord, d'accord, n'en parlons plus. C'est donc en Palestine que tu souhaites vivre ?

– Si Dieu le veut.

– Et moi ? Et la mère de Mona ? Tu nous as demandé notre avis ? C'est notre fille, tout de même ! Notre enfant !

Mourad ne put s'empêcher de sourire.

– Votre enfant, oui, Farid. Et, depuis douze jours, mon épouse.

 

*

 

 

Bagdad, 5 juillet 1921

 

 

– Des esclaves ! Des eunuques ! Voilà ce que nous sommes devenus !

Ni le temps ni le nouveau visage politique de l'Irak n'avaient apaisé la fougue de Chams, le fils de Nidal el-Safi.

Son père accueillit ses propos avec fatalisme. Le seul parti à prendre lorsque son fils piquait ses colères était de laisser passer l'orage. Une fois calmé, Chams redevenait un interlocuteur plus ou moins supportable.

– Je ne te comprends pas, maugréa Nidal. Au lieu de te réjouir, tu passes ton temps à protester ! Nous avons un roi arabe. Notre ami, Abdel Rahman el-Keylani, a été promu chef du gouvernement et s'apprête à participer à la négociation d’un traité, qui assurera à l'Irak une indépendance formelle. Et toi-même, n'ai-je pas été nommé au ministère de l'Éducation ?

– Bien sûr, père. Tu es ministre et je suis fier de toi. Nous avons un roi arabe et les membres du gouvernement irakiens ; la seule différence, c'est que chacun d'entre vous est flanqué d'un « conseiller » britannique qui vous interdit de tousser sans autorisation ! Fayçal lui-même n'est-il pas arrivé en Irak accompagné de son « conseiller personnel », sir Kinahan Cornwallis, ancien membre de l'Arab Bureau, source de tous nos maux ? Cornwallis, âme damnée de ces chers Lawrence et Gertrude Bell ! Mais que fait donc Abdel Rahman el-Keylani et ses idées de damaqrâtiyya ? Maintenant qu'il est chef du gouvernement, va-t-il se contenter de subir toutes les humiliations ?

— Allons, mon fils ! Sois raisonnable. Le gouvernement vient à peine d'entrer en fonction. Quant à Fayçal, laissons-lui le temps. Il a pris des engagements à notre égard. Il doit les tenir. Nous lui avons clairement expliqué que nous étions d'accord pour faire acte d'allégeance envers lui, mais en tant que roi d'un Irak indépendant, libéré de tout lien avec l'étranger.

– Et qu'a-t-il répondu ?

– Il a pris un Coran qu'il a placé entre lui et nous et s'est engagé solennellement à respecter son serment. Il a même ajouté que, si la tâche se révélait impossible, il abandonnerait toute fonction. J'ai confiance.

– Père, ne soyons pas dupes, si les Anglais l'ont choisi, c'est pour qu'il serve leurs intérêts. Il est leur créature, leur agent, leur obligé. (Il rappela d'un air sombre :) N'est ce pas toi qui m'as dit un jour : « Jamais un peuple ne doit croire en celui qui le gouverne, si celui qui le gouverne n'a pas été légitimé par le peuple ? »

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